Conception pédagogique responsable : par où commencer ? Synthèse

Les possibilités de réduction d'impact de nos formations vont dépendre du contexte dans lequel on se trouve. Vont ainsi influer :

• le contrôle sur la conception pédagogique (définition des objectifs, choix des outils),
• la santé de l'entreprise pour/dans laquelle on travaille (financière, culture interne, relations et jeux de pouvoir),
• le soutien social (collègues, client, communauté de pratique/pairs).

Ces 3 composantes participent à notre sentiment d'efficacité personnelle. Quand elles sont au maximum, cela permet :

• une grande capacité d'action (autonomie),
• une plus grande influence sur notre environnement.

Quand elles sont faibles, il convient de prendre soin de soi et de ne pas s'imposer trop de contraintes supplémentaires.

Adopter une démarche de conception responsable n'est pas si simple. En cause :

• la quête de performance dans une société où tout s'accélère (faire plus, plus vite et moins cher avec l'IAG),
• les difficultés actuelles du marché de la formation (baisse des financements),
• la résistance au changement (la notre et celle des autres).

Dans un contexte actuel complexe, prendre le temps de ralentir devient donc un très fort engagement social.

On parle souvent de dématérialisation, mais on est en réalité face à un transfert de matérialité (du papier vers les serveurs, réseaux et ordinateurs).

Pour construire un ordinateur portable de 2 kg, on a besoin de 800 kg de ressources¹ :

• 600 kg de minéraux (dont rares)
• 200 kg d'énergies fossiles

Mais aussi de plusieurs milliers de litres d'eau douce. 

Concernant l'hébergement des données, on comptabilisait environ 8000 centres de données dans le monde. Chiffre qui est en train d'exploser avec l'essor de l'IAG.

Cette matérialité du secteur numérique a des impacts sociaux extrêmement forts.
En RDC - République démocratique du Congo, l'exploitation des ressources (dont cobalt) implique : 

• le travail de plus de 40 000 enfants esclaves,
• la main mise de groupes armés sur la politique locale,
• entre 3 à 5 millions de morts indirectes,
• plus de 100 000 viols par an. 

Derrière la démultiplication des terminaux et outils numériques (objets connectés), il y a donc une forte exploitation de nos co-humains dans le sud global.

Le documentaire Les sacrifiés de l'IA (lien externe) (France TV) nous met face à des témoignages de data-workers à travers le monde. Leur travail consiste à alimenter et entraîner l'IA en regardant des journées entières de nombreuses données négatives, dont :

• des scènes de massacres,
• de la pédo-criminalité.

Cela entraîne des stress post-traumatiques, qui ont parfois des conséquences terribles (meurtres, suicides). Il y a entre 150 et 430 millions de data-workers dans le monde. 

En se basant sur la fourchette haute, c'est 1 humain sur 20 qui est employé à entraîner les IA, pour 4 à 10€ la journée.

On est dans un techno-capitalisme très accepté sur le contrôle par le numérique et son développement commercial, qui pour fonctionner considère l'humain comme une ressource exploitable au même titre que les minerais de la RDC. 

Nos vies et nos comportements en ligne sont exploités pour créer de la valeur. L'objectif étant de nous manipuler via l'exploitation de nos biais pour :

• nous faire passer à l'action,
• nous faire acheter,
• contraindre nos comportements.

L'infobésité pose également un problème majeur. On est face à tellement d'informations, qu'en plus d'une importante surcharge cognitive, on a des difficultés :

• à prendre du recul,
• à avoir de l'esprit critique.

Prendre l'angle du développement durable, qui malgré son caractère de moins en moins convaincant, voire désuet (cf. travaux sur la robustesse d'Olivier Hamant²), a l'avantage d'être accepté politiquement (entreprises, Europe avec les ODD - Objectifs de développement durable).

Il est donc plus facile d'argumenter et d'obtenir de l'adhésion via cet angle (en attendant de pouvoir avoir des discours plus radicaux). Le développement durable vise à coordonner 3 aspects : environnemental, social et économique.

Pour une gestion raisonnée des ressources et de l'énergie, comme pour la réduction des externalité négatives (pollution et déchets) quelques principes actionnables pour la formation :

• créer des ressources avec une vraie valeur ajoutée pédagogique,
• limiter la VR (Réalité virtuelle) aux seuls cas d'usage/métier pour lesquels elle est justifiée (chirurgie, simulation d'avion de ligne),
• privilégier le corps et les interactions aux outils technologiques (jeux de rôle, théâtre forum),
• faire attention à la consommation d'énergie (déplacements, chauffage).

Pour réduire les déchets que l'on peut produire en formation (comme certaines compétences) :

• former sur des fondamentaux (pour éviter l'obsolescence),
• former sur des éléments transversaux et transférables à d'autres contextes (pour éviter le gaspillage).

Pour l'accès à une vie de bien-être, aux ressources et à une richesse égale, il faut :

• inclure les minorités,
• inclure les personnes en situation de handicap,
• inclure les personnes en difficulté.

Dans un contexte de formation, cela doit se traduire par :

• la mise en place d'un cadre de sécurité,
• l'accueil de la parole pour tous,
• la mise en place de débats constructifs et de coopération,
• la prise en compte des handicaps (Qualiopi l'oblige),
• la prise en compte de la fracture numérique (17% de la population française).

En somme : créer un terreau humain favorable à ce que tout le monde se sente bien et en sécurité. L'égalité des chances peut avoir pour effet de promouvoir des comportements responsables.

Il s'agit alors de mettre en place des situations d'apprentissage permettant le développement :

• de l'autonomie,
• de l'esprit critique,
• de la réflexivité.

Pour aider les apprenants à grandir dans leur citoyenneté et favoriser l'égalité des chances.

Il s'agit d'optimiser la production pour qu'elle ait :

• le moins d'impact environnemental possible,
• tout en ayant un impact économique positif pour l'entreprise.

Pour promouvoir des modes de consommation et de production plus responsables, possibilités :

• mutualisation (salles de formation, déplacements),
• réemploi (contenus de formation, logiciels open source).

Mettre en place des formations qui respectent l'autonomie et la souveraineté des données de nos apprenants. Pour cela, se poser la question :

• Qu'est-ce qui est nécessaire ?
• À quel moment on n'est plus dans l'évaluation de la formation, mais dans le contrôle de l'apprenant ?

Anticiper sa démarche éthique et responsable, en préparant son processus de conception responsable à l'avance, va permettre :

• d'arriver face au client avec une charge cognitive diminuée,
• d'anticiper les réactions de l'environnement (résistances et blocages) en affinant le discours.

L'objectif étant de fluidifier le processus afin de porter la démarche jusqu'au bout.

Il est également possible de compléter une matrice d'externalités afin d'évaluer les tensions et de proposer des arbitrages (cf. MOOC Intégrer les transitions en formation (lien externe)).

Pour une démarche projet pédagogique classique (agences, cabinets de conseil), les étapes à suivre seront les suivantes :

1. Établir un premier contact (introduire la démarche)
2. Cadrer le projet (détailler la démarche)
3. Faire une recherche utilisateurs (poser les bonnes questions)
4. Définir les objectifs pédagogiques (assumer l'approche durable)
5. Générer des idées (arbitrer les choix et réaliser une analyse d'externalités)
6. Construire le scénario pédagogique (arbitrer les choix)
7. Développer les contenus (appliquer les bonnes pratiques)
8. Déployer la formation
9. Itérer

• Prioriser la plus-value pédagogique dans le choix des outils et activités
• Illustrer des futurs et cultures souhaitables
• Compresser les médias
• Privilégier des formats légers
• Créer un cadre inclusif

• Aller sur les savoirs fondamentaux
• Anticiper le réemploi des contenus
• Mutualiser (locaux, contenus)
• Choisir un hébergeur responsable
• Faire de l'évaluation à froid
• Utiliser des outils open source et éthiques³ (sortir des GAFAM)

• Développer l'autonomie des apprenants
• Adopter une approche itérative (éviter les déchets)
• Questionner toute donnée stockée (learning analytics)