La robustesse appliquée aux entreprises Synthèse

Vous souhaitez savoir comment une entreprise peut devenir robuste dans un monde en polycrise ?

Voici une synthèse du webinaire « La robustesse appliquée à l'entreprise », organisé par l'association 2 tonnes (lien externe) le 22 juin 2025.

Intervenant : Olivier Hamant (lien externe)

Introduction

Présentation

Olivier Hamant est biologiste. Il a toujours voulu travailler sur les plantes. C'est naturellement qu'il s'est intéressé à la question de la viabilité :

  • Comment fait un organisme vivant pour rester vivant ?
  • Comment fait-il pour se déployer et se développer dans son environnement ?

L'écho est clair avec les organisations humaines. 

Ce qui a amené Olivier Hamant à la robustesse, c'est un travail collectif amorcé autour d'une première question, liée à la robustesse des plantes : 

  • Comment une plante arrive à faire des fleurs qui se ressemblent toutes, et ce malgré un environnement fluctuant (vent, changements de salinité, etc.) ?

C'est un exemple de robustesse : maintenir le système stable et viable, malgré les fluctuations

Conclusion des lois identifiées : pour être robuste, il faut être moins performant (et parvenir à un équilibre)1

Ce qui a amené Olivier Hamant à explorer la robustesse au-delà du champ scientifique, ce sont des rencontres :

  • avec des artistes convaincus des résonances de la robustesse dans leur milieu,
  • avec des acteur·rices du développement durable encore dans le monde de la performance. 

Or, si les acteur·rices du développement durable n'ont pas conscience des compromis à faire entre performance et robustesse : on va dans le mur. 

Il faut donc en parler, et pour cela, sortir du laboratoire.

1 L'entreprise robuste (lien externe), Olivier Hamant, Olivier Charbonnier & Sandra Enlart (2025)

Biologie et entreprises

En ce qui concerne l'entreprise, certains parallèles peuvent être faits avec le vivant. Elle va en effet :

  • devoir vivre avec des fluctuations,
  • subir des chocs et devoir y survivre.

Tout dépend alors du contexte : si les fluctuations augmentent, les leçons de viabilité d'une entreprise seront différentes.

Comme pour les êtres vivants.

    Dans une niche écologique très stable, on peut être un parasite et donc avoir très peu de robustesse tout en étant extrêmement performant, optimisé et spécialisé. Mais dès que la niche écologique change, on disparaît avec elle.

      Dans un milieu très fluctuant, où on fait beaucoup de symbioses, on coopère et on fait de la robustesse. Et ça se passe beaucoup mieux...

        Changement de paradigme

        Compétition et violence

        Nous rentrons dans un monde nettement plus fluctuant

        • polycrise
        • imprévisibilité,
        • événements aberrants2,
        • événements extrêmes climatiques (fréquence multipliée par 4,5 depuis 2000 en France), etc.

        Ces événements correspondent à une réalité perçue et vécue, et non plus à une prédiction scientifique.

        Et quand on analyse les causes de ces fluctuations, on s'aperçoit que ce sont les humains et leur obsession pour la performance qui en sont à l'origine : plus on optimise, plus on fragilise.

        Nos systèmes sociaux, économiques et écologiques se fissurent d'avoir trop voulu les optimiser. Le monde de la performance nous a canalisés, ce qui génère :

        • un monde de la polycrise,
        • de la contre-productivité

        Le changement de paradigme est ainsi l'aboutissement de la culture de la performance. 

        Quand on met l'accent sur la performance, qui est la somme de l'efficacité (atteindre son objectif) et de l'efficience (avec le moins de moyens possibles), c'est toujours relatif. On est toujours plus ou moins performant qu'un·e autre. 

        La performance est donc un appel à la compétition. Et dans une compétition, les gagnants sont toujours les plus violents.

        Cette culture de la performance devient donc une culture de la violence :

        • contre les femmes
        • contre les plus défavorisé·es,
        • et contre les écosystèmes

        On est donc à un moment où la performance arrive au bout de sa logique.

        2 Qui s'écartent du type normal, qui va contre la logique, la vérité. (Larousse)

        Risques et territoire

        Nous, les humains, allons donc devoir vivre avec ces fluctuations. Plus tôt nous basculerons dans la robustesse, plus tôt nous éviterons : 

        • les tensions sociales,
        • les tensions géopolitiques,
        • les tensions économiques.

        Aujourd'hui, les entreprises sont pour la plupart inadaptées, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas capables de maintenir leur système stable et viable (donc robuste) malgré les fluctuations.

        En cause : elles se concentrent seulement sur la 1ère partie, le maintien de leur système stable. Elles ne font donc que de la gestion des risques

        Par ailleurs, certaines entreprises peuvent être robustes en interne, du fait de bonnes politiques sociales et culturelles, sans être pour autant au service de la robustesse du territoire. Auquel cas elles se feront dévaster dès la prochaine fluctuation

        Par exemple, si on construit une maison très robuste, avec des panneaux solaires, autonome, etc. mais qu'elle est sur un territoire qui subit une énorme inondation, alors le territoire est dévasté et la maison n'est plus robuste. 

        La robustesse doit donc concerner les entreprises en interne, comme en externe (territoire). Elles doivent ainsi :

        • aller au-delà de la gestion de leurs risques
        • se mettre au service de la viabilité du territoire

          Nouvelle perspective

          Aujourd'hui, tous les secteurs sont concernés par les fluctuations dans un monde de la polycrise : une entreprise peut paraître robuste, mais ses employés sont dans des cercles qui sont peut-être affectés par des crises. 

          On commence ainsi à voir des modèles robustes émerger. 

          Mais une entreprise 100% robuste, comme un être vivant robuste, cela n'existe pas. Il y a de nombreuses impasses évolutives.

          Il est possible d'atteindre un certain niveau de robustesse qui fait qu'on passe nombre de fluctuations, mais il n'est pas possible d'échapper à toutes les fluctuations (exemple : une météorite). 

          Globalement, nous avons réduit notre robustesse en misant de façon problématique sur la performance : 

          • trop de spécialisations,
          • excès d'optimisation,
          • oubli du lien au vivant.

          Pour rappel, être robuste, c'est maintenir le système stable et viable malgré les fluctuations.

          L'arbre dans le vent est stable malgré les fluctuations, et l'arbre qui traverse les 4 saisons est viable malgré les fluctuations (qu'il est capable de supporter sur le temps long). 

             

            Exemple : Pocheco

            L'entreprise lilloise Pocheco (lien externe), PME de 80 personnes spécialisée dans la fabrication d'enveloppes, qui aurait logiquement dû disparaître du fait de la baisse du marché (6% par an).

            Malgré cela, l'entreprise perdure car son activité est au service de la robustesse socio-écologique du territoire (plantes dépolluantes, politique sociale et culturelle, etc.). 

            Stabilité & viabilité

            Pour les entreprises, faire preuve de robustesse implique de concilier :

            • sur le court terme : stabilité,
            • sur le long terme : viabilité.

            Car ne traiter qu'un seul de ces deux enjeux reviendrait à :

            • stabilité (sans viabilité) : ne faire que de la gestion des risques à court terme, et être balayé à la 1ère fluctuation hors du commun. 
            • viabilité (sans stabilité) : faire des projets fantasmatiques dans un futur très lointain (aller sur Mars), pour justifier l'inaction au temps présent (comme le font les long-termistes californiens). 

            Pour bâtir la robustesse, il faut donc ET de la stabilité, ET de la viabilité :

            • stabilité (court terme) : permet de nourrir sa robustesse et d'être ainsi toujours là. 
            • viabilité (long terme) : se construit dans le court terme, la stabilité étant la graine de la viabilité à venir (robustesse du futur).

            Quelques principes de référence à visée robuste : 

            • diversité : dans le personnel (polyvalence), dans les activités (vente et réparation, production de biens et de services),
            • lien au vivant : une entreprise au service de la dégradation de son territoire n'est pas viable.

            Une entreprise à visée robuste est au service du vivant. Elle se diversifie et finit par ressembler à un arbre : diversification, exploration, expérimentation, redondance, hétérogénéité, incohérences, inachèvement, etc.

            L'entreprise est ainsi vivante, et en chemin tout en ne sachant pas quelle est sa destination.

              Exemple

              Une entreprise qui fabrique des enveloppes peut devenir un centre culturel, qui peut devenir un centre de formation, etc. 

              C'est faire preuve de robustesse : l'objectif change tout le temps.

              Rentabilité & performance

              Faire preuve de robustesse pour une entreprise ne signifie pas nécessairement sacrifier sa croissance. Cela équivaut plutôt à :

              • mettre la croissance au second plan.
              • savoir ce que c'est que la rentabilité.

              Car la rentabilité d'une entreprise a longtemps été corrélée à sa performance : plus elle était performante, plus elle était rentable.

              Mais les entreprises performantes sont incapables de s'adapter. Dans un monde fluctuant, ce sont les plus fragiles. Elles vont donc libérer le marché au profit des entreprises qui restent, c'est-à-dire celles qui sont robustes.

              La rentabilité d'une entreprise dans un monde en polycrise est donc avant tout corrélée à sa robustesse

              Une entreprise robuste peut également être performante, mais seulement en partie. Cela implique alors : 

              • une raison d'être opérationnelle (avec 5 ou 6 principes généraux et une feuille de route engageante),
              • des indicateurs de performance (très secondaires). 

                  Grandes entreprises

                  Nous sommes en train de basculer du  « To big to fail3 »  au  « To big not to fail». Dans un monde fluctuant, les (très) grandes entreprises de type pyramidal sont vouées à tomber. En revanche, dans le monde de la robustesse, les entreprises ne sont pas obligées de rester petites. Il faut simplement qu'elles aient une autre organisation, plus modulaire, avec :

                  • de petites équipes autonomes et robustes,
                  • qui communiquent beaucoup entre elles.

                  Ainsi, elles grandissent sans toutefois s'agrandir. Contrairement au monde de la performance où les (très) grandes entreprises ont un modèle vulnérable : la petite cellule devient une grosse cellule qui explose très facilement.

                  3 Trop grand·e pour échouer.

                  Trop grand·e pour ne pas échouer.

                  Exemple : Stellantis

                  Stellantis, constructeur automobile extrêmement fragilisé par son ex-dirigeant, Carlos Tavares, autoproclamé « psychopathe de la performance ».

                  Performance & robustesse

                  L'alternance entre des phases de performance et des phases de robustesse peut malgré tout être un modèle de gestion d'entreprise. Il faut alors penser en antiphases :

                  • quand tout va bien, il faut faire de la robustesse.
                  • quand c'est la crise : on autorise la performance.

                  À l'ère de l'abondance du pétrole, les investissements ont exclusivement porté sur la performance. Résultat : nos environnements ont été dégradés, notre robustesse réduite jusqu'à la polycrise que nous connaissons actuellement.

                  Or, dans ce contexte de polycrise, nous continuons à inventer des technologies toujours plus performantes (intelligence artificielle), qui alimentent la polycrise. 

                  Aujourd'hui, il ne faut donc plus accélérer dans la performance, mais plutôt se reconnecter à son territoire. Entre 2 crises, il faut donc investir dans la robustesse

                  Exemple : 1083

                  Marque de vêtements, 1083 (lien externe)5 est spécialisée dans la fabrication de jeans :

                  • écoconçus,
                  • fabriqués en France.

                  Cette entreprise va être de plus en plus robuste au fur et à mesure de la fermeture des frontières (conflit Chine/Taïwan).

                  En effet, la fast fashion peut uniquement fonctionner dans une économie mondialisée, au service de la performance. Les services doivent donc être produits, maintenus et entretenus localement

                  Le modèle économique de 1083 permet également de désintoxiquer les clients, en leur faisant préférer un objet plus cher (ici un jean) à un objet moins cher. Par ailleurs, l'entreprise ne propose pas de soldes. Car il n'y a aucune raison de vendre des jeans moins chers à un autre moment de l'année. 

                  La justesse (et justice) du prix des jeans 1083 ne dépend pas des marchés, ce qui est sous-optimal, mais robuste. Les citoyen·nes n'achètent pas seulement un jean. Ils contribuent à la fois à la robustesse territoriale, au lien social et au lien écologique

                  5 1083 km est la distance maximale en France.

                  Exemple : La Louve

                  Coopératif et participatif, La Louve (lien externe) est le 1er supermarché parisien à but non lucratif, géré par ses membres

                  Selon l'école de Palo Alto, il existe plusieurs types de changement6, qui correspondraient à :

                  • type 1 : distribuer des produits bio, locaux, etc. sans changer le modèle du supermarché.
                  • type 2 : le supermarché est transformé. Il devient participatif et coopératif, les clients deviennent des coopérateurs. Ce qui entraine : fidélisation, renforcement du lien interpersonnel, etc. 

                  Ce supermarché est donc devenu viable en passant à un changement de type 2.

                  Ces démarches participatives se développent également dans d'autres domaines (architecture, santé, écoles, etc.) et constituent un autre modèle de robustesse. 

                  6 Courant de pensée et de recherche né en Californie au début des années 1950.

                  Désobéir

                  À une entreprise qui rétorque : on n'a pas le choix, notre chaine de valeurs et nos clients nous réclament beaucoup, etc. La réponse est : Osez désobéir au culte de la performance !

                  Car laisser des clients réclamer des produits encore moins chers, livrés encore plus vite, cela va inévitablement entrainer :

                  • des accidents du travail,
                  • des pollutions,
                  • des problèmes de relations publiques

                  Les clients et fournisseurs poussant à cette logique sont le maillon fragile.

                    Exemple : Nexans

                    La société Nexans (lien externe) (câblage électrique) a fait le choix en 1998 de ne se séparer de 13 000 de leurs clients (sur 17 000), sur des critères socio-écologiques. Ces clients fragilisaient l'entreprise. 

                    Devenir robuste

                    Dans un moment de basculement tel que celui que nous vivons, il faut conserver un pied dans le monde d'avant, et un pied dans celui d'après7.

                    La robustesse est un projet qui doit monter en échelle à chaque crise. Car changer de modèle du jour au lendemain pour la robustesse (et donc radicalement) ramènerait à la performance. 

                    Le renoncement à la performance peut faire peur, mais il peut également être très joyeux. Il s'agit de créer un espace de créativité

                    Quand on fait de la robustesse, on veut augmenter l'espace de viabilité de son entreprise (ou de son organisation). Pour cela, il faut s'arrêter : créer des espaces de réflexion (brainstorming, discussions informelles, communautés apprenantes, etc.). 

                    Il s'agit de donner envie, mais aussi de transformer la fluctuation en quelque chose qui fait peur aux entreprises performantes et optimisées. Renoncer à la performance signifie alors réenchanter le risque. Et construire l'ensemble de son modèle économique sur le risque. 

                    7 La stratégie du Y (lien externe), Alan Fustec, Timothée Fustec et Arnaud Bergero (2024).

                    Exemple : NeoLoco

                    NeoLoco (lien externe), boulangerie créée Arnaud Crétot, est la boulangerie la plus robuste de France. Elle fonctionne à l'énergie solaire : son four low-tech est constitué de miroirs.

                    Pour palier le manque de soleil, le modèle économique a dû être réinventé : il fait notamment du pain au levain qui peut se conserver plusieurs jours, afin de s'adapter à une ressource fluctuante (le soleil).

                    C'est donc un cas typique d'un modèle économique qui s'est adapté de façon joyeuse aux fluctuations. 

                    Enjeux humains

                    Pour être robuste individuellement, et ainsi passer les fluctuations, il faut : 

                    • prendre soin de sa propre santé (stabilité),
                    • prendre soin des autres (viabilité).

                    C'est le tissu social qui fera notre sécurité et notre santé

                    La santé commune est essentielle : santé des milieux naturels au service de la santé sociale, qui elle-même est au service de la santé humaine. 

                    Si on veut convaincre, il faut réaliser que ce qui nous arrive n'est ni une crise sociale, ni une crise géopolitique, ni une crise économique : c'est d'abord une crise culturelle.

                    Car nous sommes addicts à la performance, qui ne peut que générer du burn-out, qu'il soit humain mais aussi plus global (droit international, écologie, social, etc.).

                    Il convient donc de questionner ce que les mots deviennent dans un monde fluctuant (par exemple : rentabilité, innovation).

                    Pour aller plus loin